Le fournisseur de service cloud US a annoncé qu'il cesserait de facturer à ses clients des frais pour la migration de leurs données vers un autre fournisseur de cloud ou vers un site on premise. Il devient ainsi le premier acteur cloud US à supprimer les fameux "egress fees" pour ses clients leur permettant de migrer gratuitement vers des plates-formes concurrentes. Décryptage.
Les clients qui utilisent les services Google Cloud, notamment BigQuery, Cloud Bigtable, Cloud SQL, Cloud Storage, Datastore, Filestore, Spanner et Persistent Disk, peuvent bénéficier de transferts gratuits hors de Google Cloud dès aujourd'hui. Seul pré-requis: demander l'autorisation par l'intermédiaire d'un formulaire en ligne.
Les clients GCP disposeront d'un délai de 60 jours pour transférer leurs données après approbation. Si ce délai est dépassé, ils devront soumettre une seconde demande.
Ce n'est qu'une fois que les données d'un client approuvé ont été transférées hors de Google Cloud et qu'il a résilié son accord écrit avec Google Cloud que les frais de transfert de données seront annulés, par le biais d'un crédit sur facture.
Bien entendu, Google se réserve le dernier mot. Dans un article d'assistance technique, l'entreprise précise qu'elle se réserve le droit de vérifier le transfert de données hors de Google Cloud "pour s'assurer qu'il est conforme aux termes et conditions du programme".
Les frais de sortie cloud au cœur de toutes les polémiques
Sur le marché du cloud computing, les frais de sorties "egress fees" sont au cœur des critiques des autorités de régulations et fournisseurs de cloud public concurrents.
Ces coûts de sortie varient en fonction d'une série de facteurs, comme la destination, l'origine des données et le volume de données.
Par exemple, pour les données sortantes vers l'internet public, AWS facture 0,09 $ par gigaoctet de données pour les 10 premiers téraoctets. En revanche, le transfert de données entre deux instances AWS EC2 situées dans des régions différentes est facturé 0,02 dollar par gigaoctet.
En fait, selon Google, les frais pour le transfert de données depuis le cloud vers un centre de données privé ou un site on premise peuvent varier de 5 à 20 cents par gigaoctet.
Ces frais peuvent être pénalisants pour les clients de cloud public qui se tournent vers d'autres fournisseurs. Apple aurait ainsi payé 50 millions de dollars de frais de sortie à AWS en une seule année.
En 2018, Cloudflare a lancé la Bandwidth Alliance, un groupe d'entreprises qui s'engagent à réduire ou à éliminer les frais de sortie des données. Google figure parmi les membres de ce groupe, de même qu'Alibaba, Microsoft et Oracle, mais pas AWS.
L’annonce de Google intervient alors que plusieurs régulateurs se penchent sur des pratiques potentiellement anticoncurrentielles du secteur.
Plusieurs plaintes ont aussi été déposées. Google a notamment saisi la Commission européenne et la Federal Trade Commission, le gendarme antitrust américain.
Risques de verrouillage
L'été dernier, l'Autorité de la concurrence française avait identifié les frais de sortie comme un des risques de verrouillage des clients. Elle avait notamment souligné que leur montant était “déconnecté des coûts directement supportés par les fournisseurs”. Un projet de loi est en cours pour les interdire.
En octobre dernier, même initiative au sein de l'autorité britannique de la concurrence et des marchés qui a annoncé qu'elle allait entamer une enquête sur les frais de sortie facturés par les fournisseurs de cloud publics, notamment AWS et Azure, ainsi que sur la manière dont ces fournisseurs pourraient entraver l'interopérabilité cloud ou imposer des licences logicielles restrictives.
Un avis partagé par l’Ofcom, le régulateur britannique des télécoms. Dans un rapport récent, celui-ci visait notamment Amazon Web Services et Microsoft Azure, les deux leaders du marché, les accusant de facturer des frais de sorties 5 à 10 fois supérieurs à d’autres acteurs.
Depuis, la Competition & Markets Administration, l'autorité de la concurrence britannique, a ouvert une enquête préliminaire contre les deux géants américains.
Attirer l'attention sur un "problème fondamental"
La décision de Google peut paraître paradoxale : En supprimant les frais de sortie, il pourrait favoriser le départ de clients vers ses concurrents. Elle s’inscrit en réalité dans une stratégie de communication visant à attirer l'attention sur “le problème fondamental qui empêche de nombreux clients de travailler avec le fournisseur de leur choix dès le départ” indique Amit Zavery, manager général de Google Cloud.
Le responsable dénonce en effet “les pratiques de licences restrictives et injustes” mises en place par “certains fournisseurs historiques qui exploitent le monopole de leurs logiciels sur site”. Dans son message, il ne cite aucun nom. Mais il visait spécifiquement Microsoft et Oracle dans sa plainte déposée auprès de la FTC.
Google Cloud accuse notamment Microsoft de profiter de la position dominante de sa suite Office 365 pour "enfermer" ses clients dans ses services cloud. Le géant de Redmond se livrerait notamment à de la vente liée de son offre Azure avec sa suite bureautique, mais aussi avec son système d’exploitation pour serveur Windows Server.
Une pratique qui se traduirait par des surcoûts très élevés pour les entreprises, avec des “factures 5 fois plus élevées si les clients choisissent d'utiliser certains clouds concurrents" assure Amit Zavery.
La société dénonce aussi des restrictions techniques qui “limitent l'interopérabilité de logiciels indispensables avec l'infrastructure cloud des concurrents”.
Devancer le Data Act européen
Tous les fournisseurs de services de cloud public opérant en Europe pourraient finalement être contraints de cesser de facturer des frais de sortie en vertu de la loi sur les données -Data Act- récemment adoptée par l'Union européenne. Cette loi exige la réduction progressive des frais de commutation, y compris les frais de sortie des données, au cours des trois prochaines années, tout en prévoyant des exceptions pour les contrats multicloud. Google Cloud joue donc ici une carte stratégique en phase avec les règlementations à venir.
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